Quelques cas concrets

Zoé :

 

A sa naissance, sa maman est très, très fatiguée. Elle dit qu’elle est débordée par ses deux enfants. Elle n’arrive pas à prendre du plaisir à s’occuper de ses filles. Elle craint même de leur faire du mal. Elle s’en culpabilise et demande de l’aide. Elle explique que Zoé dort peu, pleure beaucoup, régurgite souvent ses biberons, semble avoir mal. « C’est la faute de Maman si tu as mal mon bébé » dit-elle en larmes.                                                                                                                                                                      La jeune mère m’explique qu’elle dort très peu car elle surveille constamment  son bébé, par peur qu’il lui arrive quelque chose. Elle se sent seule pour tout gérer, et en même temps refuse toute aide extérieure.

 

 

Je l’interroge à propos du vécu de sa grossesse, puis de son accouchement. « C’était un bébé désiré. Il se développait bien, l’accouchement n’a pas posé de problème ».  « …J’ai bien eu Zoé tout de suite sur le ventre, mais ses grands yeux m’ont fait peur. Depuis, je m’en occupe, mais je ne ressens rien pour elle ».  « Des fois, j’ai l’impression qu’elle est encore dans mon ventre ».     

                                                               

Lorsque vient le moment du biberon, je remarque la position particulière de Zoé dans les bras de sa mère. Le dos du bébé est calé contre elle. Je vois donc son visage crispé, les yeux me semblent inquiets. Aucun regard entre la mère et la fille ne peuvent s’échanger dans cette position.       

            

 

J’ai  revu cette jeune mère régulièrement sur plusieurs semaines. Au fil des échanges, la confiance s’est établie, la parole est plus facile. Nous évoquons son enfance, sa place dans sa fratrie, sa relation dans la famille, les relations conjugales et intra-familiales.  « C’est un moment que j’attends, il n’y a qu’avec vous que je peux tout dire, sans peur d'être jugée".

 

Lors de chaque entretien, j’assiste à une prise de biberon.  Je constate dans les premières rencontres que le regard de Zoé n’est pas serein. Ses yeux me semblent ne rien regarder, son regard fixe le vide. Son visage est crispé sur le biberon comme s’il ne fallait pas le lâcher.    

                                                                 

 

La mère signale des coliques du soir, le fait que l’enfant pleure beaucoup, et qu’elle réclame souvent à boire.  La maman note tout sur un petit carnet, chaque quantité bue au millilitre près,

chaque régurgitation, chaque selle, etc.

 

Au fil des semaines, j’ai observé très progressivement des modifications de la position de Zoé dans les bras de sa mère. De dos contre sa mère, l’enfant a  été repositionnée au creux du bras, toutefois, la main était posée sur la table, comme s’il était encore difficile de tenir le bébé. Les visages étaient tout d’abord dirigés vers l’extérieur, puis, il y a eu quelques brefs coups d’œil de Zoé en direction de sa mère. L’évolution s’est faite spontanément, sans que j’intervienne pour repositionner ou même faire une remarque.

 

 

Au fur et à mesure des entretiens, je  note  moins de pleurs et de régurgitations. Zoé, jusqu’alors toujours en pyjama, est souvent habillée avec soin, la maman affirme s’en occuper avec plus de plaisir, et même reprendre les lectures du soir avec la fille aînée.  Lorsque je suis témoin d’un long échange de regard entre la mère et la fille, au cours d’un biberon, je sais que tout a changé, un cap est passé.  Je comprends que la mère et la fille ont réussi à se rejoindre à travers cet échange de regards spontanés, parce qu’un travail en profondeur s’est effectué inconsciemment.  En effet, dès lors, non seulement la maman n’a plus peur du regard

de sa fille sur elle, mais au contraire, elle le recherche.

 

 

A son rythme, la jeune mère s’est laissée aller à la confidence, elle a sans doute repris son cheminement dans sa construction psychique jusqu’à être en capacité de rencontrer le regard de sa petite fille, en lui offrant en retour un visage heureux.